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Carnet 8 :

7 - 21 Novembre : Chypre, les chemins escarpés de l'île mystérieuse

  Les falaises blanches qui, selon la légende, virent naître Aphrodite de l'écume marine (Côte ouest entre Limassol et Paphos)
 
Jusqu'au bout l'île d'Aphrodite nous aura résisté. Tout, en elle, nous attirait : ses grands lézards et ses tortues de mer, ses falaises blanches baignées d'eaux turquoises, ses vallées de cèdres habitées de mouflons, avaient dessiné la carte d'un trésor qu'il nous fallait aller chercher. Mais l'Ile Mystérieuse avait décidé de nous mettre à l'épreuve, et elle déjoua l'un après l'autre les plans de parcours que nous mettions au point. Elle nous égara tantôt sur des routes côtières encombrées de véhicules qui nous frôlaient, tantôt sur des pistes désertes jonchées de cailloux. Elle nous fit approcher nos limites physiques tout en nous permettant finalement, chaque jour, d'aller au bout de l'étape. Sur cette terre au relief montagnard saisi par l'automne, la Nature commandait, dissimulant ses paysages - qu'on devinait magnifiques - derrière d'épais rideaux de brume et de pluie.
Cependant, des visages, des regards ont, de proche en proche, éclairé notre route, renouvelant pour nous cette simplicité et cette convivialité méditerranéenne que nous apprécions depuis qu'a débuté ce voyage à la recherche des enfants d'Ulysse.
Et si, au terme de ce court séjour, Chypre a préservé tout son mystère, nous la quittons avec, au cœur, une grande envie de revenir pour, cette fois, découvrir son visage... au soleil des beaux jours.
Sur le cahier de bord :
 
Le trajet :
Départ de Limassol en direction de la côte ouest : Paphos, la péninsule de l'Akamas et ses bananeraies, puis, retour par le centre montagneux (800 - 1400 m) : Stavros, vallée de la Marathasa, Troodos (petits villages avec des églises byzantines aux murs couverts de fresques, classées par l'UNESCO "patrimoine mondial"). Arrivée à Limassol le 18 novembre.
 
Les étapes :
1717 kms au compteur. Dix jours de vélo non-stop (35 kms par jour en moyenne). Six étapes de montagne.
Remarque :
A Chypre on roule à gauche, souvenir de la présence britannique sur le sol chypriote de 1878 à 1960.
 
La météo :
Très beau temps au départ de Limassol (28°C). Ensuite ça se gâte : pluie tous les jours en montagne (15°C).
Dans les brumes de Troodos.
Sur la piste en direction de Stavros.
Le physique et le moral :
Fatigue (devinez pourquoi !) mais aussi satisfaction d'avoir surmonté les difficultés qui se sont présentées.
 
La vie au quotidien :
Mauvaise surprise côté finances, la pluie nous obligeant à louer une chambre plusieurs jours consécutifs, alors que nous pensions camper. (prix minimum pour une chambre double : 8 à 10 £ ;
1£ chypriote = environ 11 FF). Une exception : au monastère de Kikko, une chambre a été mise à notre disposition gratuitement. Très confortable, celle-ci nous a permis de reprendre des forces après une journée particulièrement difficile.
 
Le matériel :
Série noire côté crevaisons : quatre en cinq jours, dont trois pour Karl. Rustines en rupture de stock !
Changement - tardif - des patins de frein, qui a fourni l'occasion d'une petite révision (où l'on voit que réglage d'un vélo est affaire de professionnel). Merci à Mikalis Loizou (65 B Griva Digeni, Limassol) pour sa gentillesse, sa compétence, et son amour du vélo.

Deux rencontres :

Venu nous donner la clé de notre chambre à la Rest House de Stavros, station située en pleine montagne, Ioannis, l'un des gardes forestiers, s'est tout de suite intéressé à notre voyage, et nous a invités à passer le voir dans une des maisons de la station, qu'il occupe une fois par semaine. Ouvert et chaleureux, Ioannis nous a longuement parlé de Chypre et de ses habitants, nous aidant à mieux cerner la difficile question de l'occupation militaire turque de plus d'un tiers du territoire de l'île, depuis 1974.

Mardi 17 novembre. Avec la descente de Limassol, nous allons passer de la pluie au ciel couvert, en attendant de retrouver soleil et chaleur sur la côte sud. A Pera Pedhi, lors d'une courte halte, nous voilà invités par Chris à venir nous réchauffer dans la maison de Loulla, sa soeur. Autour du poêle rudimentaire, le temps s'arrête : thé et café, souvenirs d'enfance de Chris, qui réside aujourd'hui à Corfou, sourires de Loulla et Georges lorsque nous évoquons notre quinzaine chypriote.
"- Il faudrait revenir en septembre.
- Avec plaisr, Loulla. Et merci pour les pommes !"
Rencontre chaleureuse avec Ioannis,
le garde forestier de Stavros.
 
Les tombeaux des rois
(nécropole du IVe siècle av. J.-C.)
près de Paphos.
Chronique : Trois petites notes de musique
 
Longtemps nous avons hésité à l’emporter avec nous, ce petit accordéon nommé Concertina. Il est vrai que toutes les apparences étaient contre lui : volumineux, lourd... un harmonica, une flûte, n’auraient-ils pas été de meilleurs choix ? Pourtant, obstinée, l’idée qu’il fût du voyage revenait sans cesse ; ce serait lui et pas un autre ; pour jouer quelques notes et remercier ceux qui nous auraient accueillis. Mais, s’il a osé une valse pour Mariana et Alexandros, s’il a joué pour nous quelques airs en Crète et dans le Péloponnèse, depuis un mois, notre concertina se tait. Manque d’assurance ? difficulté à s’accorder à cette vie de plein air que la fatigue n’épargne pas ? Les deux sans doute. Pour l’heure, il attend sagement dans son étui, et se tient prêt. Il est... comme un symbole. Oui, c’est ça, à lui tout seul, ce petit instrument résume toute la raison d’être de notre voyage : apprendre à être prêts. Prêts à accueillir ce qui se présente à nous, mais aussi à donner.
Alors, sois sans crainte, Concertina, tu as toute ta place parmi nous ; pour toi aussi le voyage continue :
"Trois petites notes de musique ont plié boutique au creux du souv’nir
C’en est fini d’leur tapage, elles tournent la page et vont s’endormir
Mais un jour sans crier gare, elles vous reviennent en mémoire..."
Kikko, le plus fameux monastère de Chypre.
L'entrée du monastère de Kikko.
Les fresques et les mosaïques du monastère de Kikko.
Impressions :
 
Samedi 14 novembre à Stavros. Vers 9 h, nous commençons à charger les vélos, et là, Karl s’aperçoit que son pneu arrière est encore crevé. Notre départ est ainsi retardé. Pendant ce temps, la pluie en profite pour refaire son apparition. Une fois la réparation terminée et les vélos chargés, nous prenons la route. Après trois kilomètres de montée, le vent décide d’accompagner nos coups de pédale ou plutôt de les freiner. C’est ainsi que nous allons être obligés de nous battre contre ce vent violent, de supporter cette pluie qui nous refroidit et surtout d’éviter les cailloux qui se détachent de la montagne pour glisser jusqu’à la route.Trempés, nous nous arrêtons en chemin pour nous essuyer, mettre un pull supplémentaire et des gants. Par chance, nous trouvons une petite cabane pour nous abriter quelques instants. Mais il faut bien reprendre la route. Nous ne pouvons qu’imaginer les paysages qui nous entourent, on ne voit que la route et ses bas-côtés. Nous nous arrêterons une nouvelle fois pour changer de chaussettes lorsque la pluie cessera, nos pieds nageaient dans nos chaussures et surtout nous avions très froid. Même si la faim commence à se faire sentir, nous pédalons jusqu’au monastère de Kikko. Vu notre état, nous nous disons que nous n’irons pas plus loin pour aujourd’hui, et qu’il faut trouver un endroit pour nous loger. La seule porte à laquelle nous pouvons frapper est celle du monastère. Et là, on nous offre une chambre avec chauffage et eau chaude, quelque chose d’inespéré après ces heures difficiles. Après nous être installés dans cette chambre, nous allons visiter le monastère. Je croise alors un moine assez âgé à qui je dis "Kalimera" (bonjour) et il me reprend en me disant "Kalispera" (Bonsoir) puisque nous sommes en fin d’après-midi. Nous rions tous les deux et il prend mes mains d’un geste affectueux.
A Kikko, nous avons trouvé la chaleur dont nous avions un réel besoin.

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