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Carnet 14 :

Italie : Campanie, Ombrie, Toscane ( 18 mars - 20 avril )
Le sculpteur, les peintres et le pèlerin :
 
Au premier plan, le sculpteur ; " Il Vesuvio " en personne. Sa dernière œuvre monumentale, il l'a signée le 24 août de l'an 79. Son matériau favori : la ville et ses habitants. A Pompéi, on l'aime bien, malgré son caractère ombrageux : " Le matin, on ouvre les fenêtres, on le voit… et on se sent rassuré.
"Philosopher serait-il ici une seconde nature ? … Quand on vit "au-dessous du volcan"…
 
Au deuxième plan, des aubes bleues, sereines – c'est l'Ombrie. La voici qui s'éveille au sortir de l'hiver. Elle s'étire, enveloppée de cette brume qui sied tant aux mystères du moyen-âge. Postés au sommet des collines, des villages-guetteurs – de Todi à Montefalco – s'interrogent, troublés : comment imaginer, au sein d'une telle quiétude, qu'au loin – pas si loin !– la fureur du monde…
Le site de Pompéi et le Vésuve.
Montepulciano ( Toscane ).
 
Mais voici que dans la transparence du premier soleil, une ombre s'est glissée, dansante et légère. C'est un oiseau, moineau modeste, nommé François. Ne le cherchez pas dans Assise, ni à Spolète ; il court les chemins de traverse. On aimerait bien le suivre, mais on est encore trop chargé…
Attardons-nous alors sur ce visage qui éclaire le troisième plan. Elle s'appelle Toscane. De ses traits fins émane une vraie douceur, une douceur qui apaise. Sur son front, les rides faussement sévères du Val d'Orcia et des Crete Senese sont aussitôt démenties par les vagues de vignes du Chianti qui ondulent et tombent en boucles sur ses joues. En lisant sur ses lèvres, on devine un chant, simple ligne mélodique portée a capella par le vent : un chant grégorien intemporel, qui se perd entre les tours de San Gimignano… Toscane : savez-vous qu'ici la toile n'est pas encore tout à fait sèche ? C'est que les peintres – Michel-Ange et Raphaël, Ucello et Boticelli – continuent d'y travailler jour après jour. Ils ont pris les cyprès pour pinceau, la terre de Sienne pour couleur… et c'est un ravissement !
Dominant la ligne d'horizon, Florence, la souveraine. Duomo, Piazza Della Signoria, Ponte Vecchio : elle est toujours belle et apprêtée. Mais le XXe siècle qui coule dans sa vallée ignore tout de la Renaissance ; il pourchasse le silence et le temps.
 
Et plus loin, sur la route, comme un brouillard effacé, le charme va s'évanouir, inexorablement. Il n'est plus temps de se sourire, de se saluer. Vite, vite… allons, pressons !
 
Aussi, au moment de tourner cette page italienne, au terme de cette balade en moyen-âge, le voyageur hésite, ne sachant s'il doit continuer ou bien faire demi-tour. Reste-t-il encore " là-bas " des chemins de lenteur qui laissent aux regards le temps de s'apprivoiser ?
Florence.
Assise.
 
Sur le cahier de bord :
 
L'itinéraire :
En Campanie : Pompéi, où Virginia, Gino et Raphaël nous ont accueillis avec beaucoup de gentillesse. Merci !
Balades à Sorrento, Napoli, Capri.
Train jusqu'à Orvieto (via Naples et Rome)
En Ombrie : Orvieto, Spoleto, Assisi, Castiglione Del Lago.
En Toscane : Montepulciano, Siena, San Gimignano, Firenze, Lucca, Viareggio, La Spezia. (train jusqu'à Ventimiglia, via Genova)
Les étapes : 5758 kms au compteur. Etapes de 35 à 50 kms.
La météo : tempo molto variabile ! Pour quelques belles journées, beaucoup de ciels couverts et plusieurs jours de pluie (le tonnerre a grondé plus d'une fois…).
L'hébergement : majorité de campings " officiels ".
Le Matériel : une crevaison pour Karl.
Pâtes, pizza et limoncello :
 
"Pasta al pesto", "Genovese", "Alio et olio"… autant de jours, autant de recettes et de saveurs différentes. Ajoutez ail, basilic et huile d'olive, et vous aurez une idée de la couleur de cette cuisine du sud, simple et délicieuse, à laquelle nous ont fait goûter Virginia, Gino et Raphaël.
Farine, eau, levure, sel : quoi de plus simple que la pâte à pizza ? Oui, mais le savoir-faire…
Quant au limoncello, cette eau-de-vie de citron, spécialité de la région de Sorrente, nous en avons noté scrupuleusement les secrets de fabrication.
Parviendrons-nous, dans quelques mois, à en offrir aux amis retrouvés ?
 
La Piazza des Campo de Sienne.
Florence : le Ponte Vecchio.
  Concert baroque :

Certes, quitter Florence sans avoir visité la Galerie des Offices était décevant ; mais les trois heures d'attente imposées à l'entrée du célèbre musée florentin avaient eu raison de notre patience… Nous ignorions alors qu'à peine 24 heures plus tard une heureuse surprise – musicale, celle-là – nous attendrait. Fatigués après une fin d'étape difficile, nous fûmes en effet accueillis, au camping de San Baronto, par Corelli, au violon, et Vivaldi, au clavecin, qui offrirent de remplacer " au pied levé " Michel-Ange et Botticelli. Au milieu des pins, dans une nuit recueillie, les deux musiciens donnèrent, pour nous seuls ou presque, un concert baroque qui ravit nos oreilles tout autant que nos yeux : l'élégance du clavecin et la grâce du violon qui dansait devant nous esquissèrent en effet une toile que les maîtres de la Renaissance auraient sans nul doute été fiers de signer !

Rencontre : les deux jardiniers.
 
Il n'y a pas d'âge, dit-on, pour tenir un journal intime. Gino, qui habite Pompéi, et Firmano, qui vit à Arbia, aux portes de Sienne, ont commencé à écrire le leur aux premières heures de la retraite. Un drôle de cahier qu'ils annotent chaque jour avec enthousiasme. Entre deux lignes de terre brune, ils écrivent les promesses d'un carré de ciel vert, en racontent les premières pluies, la couleur des fruits à venir. Ecoutez-les parler de leur jardin ; regardez-les partager de bon cœur ce gâteau d'herbes et de branches. Déjà, ils vous en donnent les clés : celle de la petite maison de bois, au pied du Vésuve, que Gino est en train de terminer ; lorsque vous reviendrez en Campanie, vous pourrez vous y installer à loisir. Firmano, lui, vous confie celle du portail : bien sûr, le jardin sera votre chambre pour la nuit.
Quant à nous, nous essaierons de nous montrer dignes du privilège que vous nous avez, tous deux, accordé, en nous ouvrant les portes… de vos jardins secrets.
 
Firmano.
Les tours de San Gimignano.
 
Chronique : Tout simplement.
 
Partout les hommes sont les mêmes
Ici sans doute comme ailleurs
Ils lancent au loin leurs "Je t'aime"
Le ventre noué par la peur…
(Jean Ferrat, Les touristes partis)
 
" Attenti al cane ! " Maison après maison, sur la route qui mène à l'Europe du nord, l'avertissement se répète, nous enjoignant de passer au large d'îles que nous ne connaîtrons point. Parfois, à l'image de l'aboyeur s'ajoute celle d'une arme à feu… Capito ? " Vous comprenez, avec tous ces Yougoslaves, ces Albanais… Non, vraiment, vous ne pouvez pas rester ; plus loin, peut-être…
Peur ancestrale (" Cave canem ! " disaient déjà les mosaïques de Pompéi), peur-cadenas, clé de tout ; qui fait les bras refermés sur quelques pronoms possessifs. Qui y échappe ? Nous-mêmes, où en sommes-nous ? Avoir, Etre… une question trop " élémentaire " : choisissez "l'auxiliaire qui convient"… ?
Rina et Bruno, eux, ont choisi : une vie simple, bras ouverts à la confiance ; une vie au présent de l'inconditionnel. "Une place là-bas, sous les oliviers, pour y mettre votre tente ? Avec ce froid, vous n'y pensez pas ! Il y a une chambre, là-haut… mais venez d'abord prendre un café et vous réchauffer auprès du feu."
 
Le café, le pain (une délicieuse "colombe de Pâques" !), un feu… Une fois encore, les "trois éléments" : qu'il faut donc peu de choses pour faire jaillir l'étincelle ! Rina, qui s'affaire sans relâche pour le repas du soir, le dit doucement en soufflant sur les braises : "Ce que l'on donne, jamais on n'en manquera."
 
De l'eau, du pain, un feu… et puis du temps. Tout simplement.
 
Rina, Bruno et leur ami Salvatore.

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