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Carnet 13 :

Sicile : La sagra della primavera* ( du 2 au 17 mars).

 
La primavera.
 
 
 
 
* Le sacre du printemps
 
"Indiens du XXIe siècle, inclinez-vous, au plus près du sol, et tendez l’oreille, car voici que la Terre parle. Entendez-vous ces forces gigantesques, ces lames de fond telluriques qui travaillent et fatiguent la terre de Sicile pour la faire blanche, ocre – bientôt rouge ? Ne vous y trompez pas : si dans les branches, des oiseaux inspirés sifflotent un Vivaldi gracieux et raffiné, au plus profond, c’est bien Stravinsky et son "sacre" barbare qui œuvrent sans relâche pour accoucher un printemps rayonnant et allègre. Voyez au loin l’Etna, silhouette massive et panache blanc ; depuis la nuit des temps, en lettres de neige comme en lettres de feu, il écrit inlassablement sur le bleu d’outre ciel : la Terre est vivante !…"
Oui vivante, vivante et belle et pour nous, que des soleils tout neufs accompagnèrent, ce fut un réel plaisir que de musarder sur ces routes siciliennes, tant sur la cote que dans les terres – jusqu’à 800m d’altitude. Parfois, c’est vrai, le chemin attendu semblait n’avoir existé que dans l’imaginaire d’un cartographe facétieux ou rêveur ; c’était alors l’occasion d’un détour, la chance de grappiller un moment buissonnier, dans des paysages vibrant sous un bourdonnement de parfums et de couleurs. Charme infini des mimosas et des amandiers en fleurs mêlant avec bonheur le jaune et le blanc au vert argent des oliviers.
Et les Siciliens me direz-vous ? Insulaires avant tout, ils ont ce caractère bien trempé qui semble vous mettre à distance lorsque vous les croisez. Une pudeur, sans doute, car sitôt que vous les sollicitez, ils vous conduisent… où vous voulez. Et puis il y a ces Anciens, au visage d’écorce taillé par la vie. Il suffit de les regarder, et c’est déjà tout un voyage…
"La bella vita !" s’était exclamé l’employé d’une station-service où nous étions passés chercher de l’eau.
La bella vita ?
Si.
Sur le cahier de bord :
 
L’itinéraire :
Trapani, Marsala, Agrigento, Canicatti, Piazza Armerina, Grammichele, Palazzolo Acreide, Siracusa, Catania, Taormina, Messina.
Les étapes :
4937 kms au compteur. En montagne, entre 300 et 800 m d’altitude, étapes de 40 à 50 kms. Une étape de 80 kms (Syracuse/Acireale).
La météo :
beau temps, doux. (18/20°C) nuits fraîches en altitude.
L’hébergement : beaucoup de camping en pleine nature.
Coté finances :
Monnaie : la Lire italienne. (1000 £ = 3,40FF)
1 pain = 1200 £, 1 chambre d’hôtel = au minimum 50 à 60 000 £.
Le physique et le moral :
Est-ce le contrecoup des "épreuves" passées ? Nous avons parfois du mal à envisager la confrontation avec de nouvelles difficultés sur le parcours à venir… Un passage délicat, que nous espérons bref !
Sur la "route du sel",
entre Trapani et Marsala.
Sur la route de Marsala
 
Les îlots de lave d'Acci trezza,
au nord de Catane.
La pause goûter : ouf, on souffe...
Gourmandise :

Elle est si savoureuse, que les Italiens ne se lassent pas de la faire rouler sous le palais. Un encouragement, et ce sont tout de suite trois longues phrases qu’ils nous lancent, nous laissant, nous qui aimerions tant la gouter, sur notre faim. Une route à indiquer, et voilà pour deux compères un excellent prétexte à se régaler, devant nous… de paroles. La langue italienne est une gourmandise qui se déguste… en chantant.

Il suffit de passer le pont :
 
"… c’est tout de suite l’aventure"… Surtout lorsqu’on est sujet au vertige ! Car des ponts, il y en a beaucoup, en Sicile – relief oblige. Dominant les vallées d’une bonne centaine de mètres, certains nous ont obligés à mettre pied à terre, et à les franchir le vélo à la main sur plus d’un kilomètre. Parfois, comme à Taormina, il a fallu faire demi-tour… et chercher un autre chemin…
 
Agrigente, aujourd'hui.
Inattendu :
 
Traversant la montagne sicilienne, nous ne pensions trouver sur notre route que des petits villages d’altitude. Or, ce sont des villes de plusieurs milliers d’habitants qui ont pris place sur les hauteurs. Image insolite que ces grands immeubles perchés, serrés les uns contre les autres pour ne pas tomber…
Les colonnes du temple
d'Hercule,à Agrigente.
 
Sur les traces d’Ulysse :
 
Nous l’avons d’abord retrouvé, offrant du vin au cyclope Polyphème, sur les mosaïques de la Villa Casale, grande villa romaine du IVe siècle après J.C., située à quelques kilomètres de Piazza Armerina. A Aci Trezza, au pied de l’Etna, nous avons ensuite découvert d’étranges îlots de lave, rochers que le cyclope, aveuglé par Ulysse, aurait lancé en direction de son navire. Traversant le détroit de Messine comme du le faire Ulysse, nous sommes tombés de Charybde, coté sicilien, en Scylla, sur la cote calabraise. Heureusement pour nous, les deux monstres tapis dans les eaux du détroit n’ont pas bronché à notre passage.
Saurons-nous résister au chant des sirènes, qui nous attendent maintenant sur les rivages de la côte almafitaine ?
Chronique : la divine comédie
 
"Hey, Marcello !… Mario, Mario !… Ciao, Alfredo !…"
Sur la Via Atenea, rue principale de la vieille ville d’Agrigente, c’est la passeggiata. Il est 18h, et la rue, encore totalement déserte trois heures auparavant – durant la siesta – n’en finit plus d’accueillir ses promeneurs, venus pour le grand rituel de fin d’après-midi.
Enfants de Fellini, les Siciliens jouent alors avec conviction de drôles de scènes, pour la plus grande joie des spectateurs… qu’ils sont eux-mêmes. Et de fêter, longuement et chaleureusement, les retrouvailles avec l’ami que l’on avait quitté… la veille. Et de reformer, au beau milieu de la rue, le cercle de famille, si essentiel ici. Et d’arpenter la rue, encore et encore, costume impeccable et souliers vernis… Pour un peu, ceux qui ont disparu viendraient se joindre à la foule ; avis de décès, remerciements, anniversaires… si nombreuses sont les affiches qui de mur en mur rappellent leur présence… qu’ils sont presque là.
La vie, la mort, comme une passeggiata ? Après tout, la promenade revêt ici une certaine prestance, et assumer l’humaine condition avec les habits de la commedia dell’arte ne manque certes pas d’élégance…
 

La vieille ville de Piazza Armerina.

La piazza Archimède, dans
Ortygie, le vieux quartier
de Syracuse.
  Impressions : la ville qui n’existait pas.

"J’aimerais tant voir Syracuse…"

Combien de fois, fredonnant cette chanson, ai-je reconstruit cette cité, bâtie autour d’un seul nom – Syracuse – qui, je ne sais pourquoi, m’a toujours fait rêver ? Un peu trop, sans doute, pour que la rencontre entre la ville et moi puisse avoir lieu. Et, de fait, en ce 14 mars, le rendez-vous fut manqué ; la Belle, prenant corps de brique et de pierre, m’échappait.

"Bovarysme !" aurait lâché en souriant le bon docteur Pennac. Qu’importe, Syracuse, tu restes à jamais ma ville d’Ys, engloutie tout au fond de mes rêves, irréelle et inaccessible – fabuleusement belle.

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