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Carnet 12 :

Tunisie : au pays des mille et une vies.
En Tunisie, tout commence toujours par des Histoires : ce sont les calligrammes d’arabesques écrits au cœur des médinas sur les façades ouvragées des portes de Kairouan comme sur les carreaux de céramique des
terrasses de Tunis ; ce sont les contes-mystères tissés par tant et tant de tapis – kilim ou Kairouan, Hamma ou macramé – fleurons d’un artisanat toujours riche et vivant, dans lesquels se reflète un peu de l’âme du monde arabe ; ce sont les fables " authentiques ", que savent inventer les Tunisiens, dont l’un d’eux vous avouera dans un sourire qu’il est, dans ce pays, de " grands chanteurs "…

La Tunisie, c’est un livre ouvert aux vents de la vie, traversé de personnages colorés et attachants : en robe pourpre ou carmin, et coiffées d’un long châle jaune pâle, que fait scintiller la lumière du matin, cinq femmes s’avancent, éveillant sur leur passage la ruelle endormie. Un peu plus loin, assis à même le trottoir, quatre grands-pères disputent gaiement, sous l’œil des supporters, une partie acharnée de dominos. Plus loin encore vont les enfants, cartable au dos : ici, à toute heure du jour, vous les trouverez sur le chemin de l’école…

 
Tunis : la mosquée
de Sidi Youssef.

La classe de 5e année (CM1) de l'école expérimentale de Chenini-Gabès.

 
Sur la route tranquille des palmeraies, roulent en file indienne les petites charrettes des oasiens qu’emmènent, dociles, mules et mulets. Et du nord au sud, et de l’est à l’ouest, veillent les bergers, moines pèlerins emmitouflés dans leur long burnou brun ; ils mènent leurs troupeaux – parfois minuscules – de pâture en pâture, à toute en heure, en toute saison : ils sont maîtres du temps.
Cet hiver-là, en Tunisie, il y eut aussi une autre histoire – la nôtre. Celle de deux frêles esquifs ballottés par les vents et transis par le froid, qui, à maintes reprises, durent changer de cap pour ne pas chavirer et parvenir, une ultime fois, aux portes du Grand Sud. Chaotique, notre route le fut, assurément. Mais il fallait tenir, tenir jusqu’à Djerba. Nous l’avons fait. Et l’équipage, quittant reposé l’île des Lotophages, s’affaire déjà sur le pont, prêt à embarquer pour d’autres Méditerranées. Au loin, on pourrait deviner les premières couleurs d’un printemps qui, pour nous, se fera italien… Besslema, Tunisie !

Un dromadaire peut en cacher un autre.

Le vieux quartier de Tozeur.
 
Djerba :
le marché animé d'Oumt Souk.
Sur le cahier de bord :
 
L’itinéraire : La Marsa (5 jours), Tunis. Au nord : El Fahs, Siliana, Kairouan, Sousse (train jusqu’à Métlaoui). Au sud : Tozeur, Chebika, Degache, Kebili, Douz, Matmata, Djerba (7 jours), puis remontée vers Gabès, et train jusqu’à Tunis (La Marsa, 3 jours).
Remarque : A Djerba, nous avons retrouvé avec grand plaisir les parents de Véronique, venus à notre rencontre. Grâce à eux, tout le matériel usé ou endommagé a pu être remplacé.
 
Les étapes : 4160 kms au compteur. Une vingtaine d’étapes d’environ 60 kms. Trois étapes de plus de 70 kms dont une de… 117 kms ! (Matmata – Djerba).
 
La météo : La Tunisie n’a pas été épargnée par la vague de froid et de mauvais temps qu’a connue l’Europe. Ainsi, prenant le train à Sousse, nous avons évité de justesse les première chutes de neige dans le nord. A Tozeur, nous avons retrouvé le soleil, mais les températures nocturnes étaient très basses (2°c au lever du jour). De plus, nous nous sommes heurtés à des vents violents pendant toute notre traversée du sud.

Tozeur : notre première rencontre avec le sud tunisien.

Les paysages lunaires de Matmata.

 
Le matériel :
 
Deux crevaisons pour Véronique. Remplacement des pneus et des chambres à air. Soulevé par le vent, le vélo de Karl, posé contre un talus, s’est renversé et est tombé sur son casque… qui a volé en éclats.
 
Sur la route de Matmata, alors que nous tentions, avec beaucoup de difficultés, de monter la tente, le vent – encore lui – a fait plier, jusqu’à le casser, l’un des tubes d’aluminium constituant l’arceau central…
 
Afin de se donner toutes les chances d’aborder la suite du voyage dans de bonnes conditions, nous nous délestons du maximum de matériel : réchaud multi-combustibles, documents et… concertina (…) repartent donc en France dès maintenant.
 
Le physique et le moral :
 
Grippe à l’arrivée à Tunis. Passages physiquement et moralement très difficiles en raison des conditions météo : parvenus à 600 m d’altitude, le froid nous a fait rebrousser chemin. Le vent, lui, nous a, entre autres, fait chuter (le casque de Véronique n’a pas été inutile) et nous a obligés à renoncer à deux étapes auxquelles nous tenions (à Chebika, après deux tentatives, nous n’avons pu prendre, contre le vent, la route de Tamerzha et Midès). Poussé par le vent, le sable, en s’infiltrant partout, ne nous a pas non plus facilité la vie. Enfin, pour être complets, ajoutons quelques poursuites par des chiens plutôt agressifs…
 
Côté finances :
Monnaie : le Dinar tunisien (environ 5,20f), divisé en 1000 millimes. Un pain coûte 190 millimes (1 f), un sandwitch, 1 dinar, et on peut louer une chambre pour deux personnes à 10 dinars.
Point financier : le budget (hors transports) est tenu…
Nous continuons !
 
Qui est le plus chameau des deux ?
Les dunes blanches de Zaafrane,
près de Douz.
 
Un grand merci à toute la famille Roger, qui nous a si gentiment accueillis, plus d’une semaine durant, dans sa grande maison de La Marsa. Merci également à Nathalie, Gilles… et à bientôt !
 
Sucre et piment :
 
Qu’ils les achètent dans l’une des multiples pâtisseries du pays ou bien qu’ils les confectionnent eux-mêmes, les Tunisiens raffolent des gâteaux ; beignets, baklawas ou makrouds, ceux-ci ont en commun d’être très très sucrés. Quant aux plats tunisiens, ils arborent généralement une belle couleur rouge vif – rouge piment – et ne tardent pas à vous mettre la bouche en feu… pour quelque temps !
Ravages :
 
Donne-moi un stylo
J’ai cinq ans, huit ans, douze ans
Donne-moi un stylo
Toi qui as eu
Les dunes blanches pour les rallyes
Et les hôtels cachant la mer
Donne-moi un stylo
Les Oasis pour les 4x4
Et les nomades pour la photo
Donne-moi un dinar, cinq dinars, un stylo
… non ?
Attends, j’ai dans mes poings deux pierres…
 
PRENDS-LES ! ! !
 
Dans les rues de Tozeur, Marwa
nous avait juste demandé
une photo d'elle.
Dans la médina de Kairouan.
 
Le petit coup de pouce :
 
On peut l’appeler chance, heureux hasard… ou bonne étoile ; c’est en tout cas un petit coup de pouce précieux – et inattendu - qui est toujours venu, jusqu’à présent, nous "tirer d’affaire", lorsque notre situation s’apprêtait à devenir compliquée, voire délicate, en raison de la météo, de la fatigue, ou de difficultés à trouver un hébergement pour la nuit…
A notre arrivée à Djerba, cette "bonne étoile" avait nom Ali et Adel, deux jeunes Tunisiens qui nous ont pris en stop, alors qu’ils roulaient pourtant dans la direction opposée à la nôtre. Nous avions déjà parcouru plus de 100 kms et la nuit tombait... mais notre pouce levé à leur passage – plus par dépit que par réel espoir, d’ailleurs – a suffi pour qu’ils nous viennent en aide, et nous mènent rapidement à bon port après avoir fait demi-tour.
Merci pour votre générosité à tous les deux !
Deux rencontres :
 
De part et d’autre de l’oued, chacun sur un versant du vallon, nous nous étions d’abord salués, lui gardant ses moutons, nous, installant tant bien que mal notre tente sur une étroite terrasse caillouteuse. Puis Habib, le berger, a traversé le ruisseau pour nous inviter à passer la soirée dans son village, là-haut, au bout du chemin qu’avaient emprunté, quelques heures auparavant, des écoliers et des femmes venues laver le linge dans l’eau glacée.
 
Après avoir passé ensemble une agréable soirée, où café et gâteaux furent servis à volonté, Habib et sa famille nous ont raccompagnés jusqu’à notre tente au son des fifres et des tambourins ; une musique qui résonna longtemps dans la nuit noire, un air de joie et d’amitié.
 
Avec Habib, la chaleur fut
au rendez-vous.
Avec Zied.
 
Il nous avait simplement demandé l’heure, alors que nous passions à vélo devant le champ de palmiers dans lequel il travaillait ; puis nous avait proposé un thé : "Seulement pour le plaisir de faire connaissance…".
Comme il fut précieux, ce premier thé, Zied, qui scella le début de notre amitié ! Déjà les souvenirs se bousculent : il y eut cette soupe, goûtée tout près du feu, au pied de tes palmiers ; cette promenade dans le désert, où nous devions parfois pousser les vélos entre les dunes ; et ce repas de dattes, de légumes et de pain chaud pris avec les nomades… tous ces moments offerts, comme autant de cadeaux. Enfin, ce dernier thé, pour se confier, pour se dire et se redire que d’autres jours viendront encore nous réunir.
 
A très bientôt, Zied !
IMPRESSION :
 
«Pouvez-vous retarder votre départ d’un jour ? Demain, nous pourrions aller manger dans le désert chez mes amis nomades.»
Comment ne pas dire oui à cette chance qui nous était donnée !
Après quatorze kilomètres dans le désert, nous arrivons au campement ; cinq tentes sont installées là dans le sable avec enfants, poules, chèvres et ânes. Karl est invité à s’asseoir avec les hommes. A moi, on me propose d’aller sous la tente où se trouvent trois vieilles femmes et Leïla, la fille de l’une d’entre elles. Je vais m’installer avec elles, et les yeux grands ouverts, je regarde Leïla nous préparer le repas... Quels instants de simplicité : même si les nomades ont peu de choses, ils ont en eux la pureté et le calme du désert. Les femmes me parlent beaucoup, et nous rions souvent, car si elles insistent pour répéter leurs phrases, l’arabe reste pour moi un mystère.
Et puis il y a eu ces deux touristes français et leur guide… Ils rentrent dans la tente, disent bonjour, refusent le thé à la menthe, prennent une photo et repartent en laissant quelques dinars. Tout ça en trois minutes, mais sur la photo, ils ont la preuve : la preuve d’avoir « rencontré » les gens du désert. Après cette intrusion je n’ai surtout pas voulu faire à mon tour des photos. Certes, j’avais eu envie de sortir mon appareil mais je voulais d’abord connaître ces nomades, partager quelques instants avec eux. Et là, l’attitude de ces français a tout cassé. Le mieux, alors, que je puisse faire, c’est de garder cette journée, ces sourires, ces fou-rires, ces visages, si précieux, dans mon coeur.

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