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Carnet 11 :

Haute-Egypte :
... et les jardins de Calypso prirent les couleurs de l'Afrique.
  Aux portes d'Assouan, le désert.
 
Jaune, rouge, vert, bleu. Noir vêtement des épouses musulmanes et blanches gallabeya. Les dunes, le ciel. La brique et l'eau. Ruban vert au long du Nil, où viennent se baigner, au crépuscule, les rayons du dernier soleil.
"Qui a bu l'eau du Nil, toujours y reviendra" répète l'adage. Hamdullilah ! Nous aussi, après tant d'autres, avons été envoûtés par la lumière d'Egypte. Un envoûtement qui nous a tenus captifs de volontés contre lesquelles nous étions sans pouvoir : celles de la police égyptienne, qui, depuis les attentats perpétrés en 1996 contre des touristes, impose aux étrangers la circulation des véhicules en convois qu'elle accompagne par mesure de sécurité préventive…
Ainsi donc, la terre des Pharaons, usant de son charme comme Calypso avec Ulysse, nous aura seulement donné à voir ce qu'elle-même avait décidé, sans nous permettre de réaliser notre rêve : longer le Nil entre les deux villes-phare de Louxor et d'Assouan.
Ce faisant, la Haute-Egypte nous aura cependant permis de comprendre à quel point nos modestes deux-roues donnaient sens et force à notre voyage. Sans eux, en effet, nous
sommes redevenus "simples touristes" aux yeux de tous ; plus difficile fut alors la quête de rencontres dans lesquelles n'entrait pas une relation liée au commerce : "Hi, felouqua ?… Yes, Taxi ?… Excuse-me, calèche ?…Nice price… ".Par bonheur, si Calypso était parfois déroutante, elle fut également généreuse, et nous lui devons de très belles journées au chaud soleil d'Assouan. Surtout, elle nous a fait découvrir l'authenticité de la communauté nubienne dont nous ignorions alors jusqu'à l'existence. Dans le silence et la fraîcheur de ses maisons aux murs-couleurs, on cultive en effet une hospitalité qui fait du bien au cœur.
Finalement, nous repartons - et quelle joie de se retrouver à vélo ! - en remerciant l'Egypte pour les regards rieurs et la gaieté qu'elle sait donner, en toutes circonstances, à ses enfants : au sourire si désarmant des Egyptiens, il n'est qu'une réponse, c'est de soi-même sourire…
Sur le cahier de bord :
 
L'itinéraire : Sharm-el-Sheikh - Hurghada en bateau rapide, Hurghada - Louxor en taxi collectif, et Louxor-Assouan par le bus…
Les étapes : 2987 kms au compteur. Une seule étape - magique - de 10 kms le long du Nil au sud de Louxor… jusqu'au barrage de police.
La météo : très beau temps. 23 à 25°c dans la journée. A Assouan, il ne pleut, en moyenne, que deux jours par an !
Le matériel : les vélos ont souffert… de ne pas rouler : embarqués à la va-vite sur le toit d'un taxi ou dans les soutes d'un car, garés dans des cages d'escalier d'hôtel où la poussière et les pigeons faisaient assaut de saletés, malmenés dans le trajet en avion Assouan - Le Caire - Tunis (peinture enlevée, porte-bagages tordus)… Karl, lui, a cassé ses verres de lunettes le jour du départ pour le Caire ; fébrilité quand tu nous tiens…
Sympathique traversée
de la moyenne Egypte en taxi
collectif avec Simon et Jason...
mais qu'en pensent nos vélos ?
Dernier soleil du jour à Assouan.
 
L'hébergement :
Hôtels à petits prix (10 à 30 LE) et accueil chaleureux chez Stéphane (cf. carnet 2) durant près d'une semaine au cours de laquelle nous avons retrouvé des petits plaisirs au goût de vacances : musique, couchers tardifs, café-croissants…
et "soirée crêpes" ! Un grand merci, Stéphane !
 
Les finances :
La somme que nous avions réservée aux transports est quasiment dépensée en totalité. Le responsable en est le trajet par avion entre Assouan et Le Caire, qui a coûté plus de 7000 ff, l'équivalent de près d'un mois et demi de voyage à vélo… Nous pensons faire un point financier précis vers la fin février : pourrons-nous mener le voyage à son terme ?
Le souk, royaume de l'imprévu :
Le souk est un endroit formidable : on y trouve de tout… mais pas forcément ce qu'on était venu y chercher. Ainsi, on peut s'y rendre dans l'intention d'y acheter des enveloppes et des cartes postales, et en partir… les cheveux coupés et deux tee-shirts sous le bras…
 
Les tablées de l'iftar :
A l'apparition de la première étoile - vers 17h15 en cette saison - les musulmans qui observent le jeûne du Ramadan peuvent prendre leur premier repas de la journée : l'iftar. A cette occasion, de longues tablées de vingt, trente personnes ou plus, sont dressées sur les terrasses des restaurants où à même les trottoirs. Parfois, les repas sont offerts aux personnes les plus démunies du quartier, témoignage de générosité que l'islam demande, et qui fait de l'iftar un moment de convivialité réjouissant pour tous, y compris les passants !
 
Dans les rues de Louxor.
Georges, employé
de l'hôtel Saint-Mina à Louxor.
 
Inch'Allah (2) :
 
En Egypte, tout est possible, à condition que ce soit la volonté d'Allah : l'avion décollera - inch'Allah. Le taxi sera au rendez-vous - inch'Allah. La ligne téléphonique coupée sera réparée - inch'Allah. Aussi est-il salutaire, ici plus qu'ailleurs, de faire sienne la parole de l'écrivain Christian Bobin qui revendique une vie comportant "beaucoup de jeu, mais pas d'enjeu" ; une façon de garder le sourire face aux petites contrariétés de la vie quotidienne. Les Egyptiens l'ont bien compris : leur sourire, irrésistible, vous fait leur pardonner bien des négligences…
 
Rencontre :
 
Georges est un jeune égyptien employé à l'hôtel Saint-Mina de Louxor où nous avons logé durant quelques jours. Au cours des discussions que nous avons eues ensemble, il nous a confié que son salaire (100 LE par mois) - salaire qui est celui de la majorité des égyptiens - ne lui permettait pas de quitter le logement de ses parents. Conséquence : impossible pour lui de demander la main de sa fiancée au père de celle-ci…
Chronique : le tribunal d'Osiris
 
Thèbes, rive gauche. Vallée des Reines, vallée des Nobles, vallée des Rois : une immense nécropole qui fait face, aujourd'hui, à la ville de Louxor. Le domaine de l'éternité, du silence, où chaque tombeau est un livre peint qui raconte… à qui veut bien y lire…
Voici Osiris ; maître du royaume des morts, il préside le tribunal doit décider du sort du défunt qui se présente à lui. Celui-ci mérite-t-il, par les actes qu'il a accomplis de son vivant, d'accéder à une vie éternelle heureuse dans l'au-delà ? Pour trancher, une balance. Une balance sur laquelle on va procéder à la pesée de l'âme, et mesurer la "légèreté de l'être"…
Mercredi 30 décembre 1998, 11h. Dans le tombeau de Ramsès VI, domaine du silence et de l'éternité, on se fraie un chemin coûte que coûte, en jouant des coudes s'il le faut. Le brouhaha monte. A quelques mètres des panneaux qui rappellent l'interdiction de prendre des photos au flash, afin de préserver les peintures qui ornent, intactes depuis des millénaires, les parois de l'immense tombeau, des lumières crépitent et aveuglent Osiris…
Karnak : le sphinx à tête de bélier.
 
Le temple dédié à la reine Hatchepsout
(Thèbes, rive gauche)
Le temple de Louxor.
 
Impressions : lettre à Ameir
 
Cher Ameir,
 
J'aurai bientôt 34 ans, tu en as 20 ou 22. Toi "l'homme à tout faire" de la maison d'en face. Ménage et repassage. Tu as 20 ans, et j'ai voulu savoir tes rêves. Peut-être parce qu'à travers ta gentillesse, ta discrétion et ton sourire, il m'avait semblé reconnaître tout le peuple nubien.
Mais tes rêves sont ceux d'une fuite. La vie, pour toi, est forcément ailleurs. France ou Angleterre…Se marier avec une étrangère, obtenir le précieux visa, et puis partir. Pour que la vie commence.
Et l'Egypte, Ameir ? Le Nil, la lumière sur les dunes, ton village aux maisons bleues ? Ne peux-tu rien construire ici ? Tes mains se tordent… Ménage et repassage. Quand on est pauvre…
J'aurai bientôt 34 ans, et je commence tout juste à oser vivre mes rêves. Des rêves qui n'appartiennent qu'à moi, et que je sais désormais possibles non pas parce que le monde autour de moi me le dit, mais simplement parce que j'y engage ma vie : c'est par l'empreinte des pas déjà posés que le sentier apparaît. Qui d'autre pourrait nous l'indiquer ?
Aussi pardonne, Ameir, mes questions. Ton chemin, où qu'il aille, t'appartient, à toi qui n'as rien. Marche, marche, tu es ta propre chance.
Respectueusement et amicalement,
 
Karl
 
Ameir et sa famille dans la cour intérieure de leur maison.

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