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Carnet 10 :

Néguev et Sinaï : l'initiation au désert (9-25 décembre 98).

Bien qu’ayant - provisoirement - délaissé le sillage d’Ulysse pour
entrer dans les pas de Moïse, notre fil d’Ariane est toutefois demeuré maritime, tant au sud d’Israël que dans le Sinaï égyptien. En effet, dévalant les collines de Judée depuis les hauteurs de Jérusalem, nous avons tout d’abord longé les eaux salines de la mer Morte - point le plus à l'est de notre périple - avant d’atteindre, dix jours plus tard, les rives du golfe d’Aquaba et les eaux coralliennes de la mer Rouge.
Cependant, durant ces deux semaines, c’est le désert qui aura le plus fortement marqué notre mémoire et notre coeur, y imprimant chaque jour davantage son empreinte de pierre, de sable et de lumière.
Curieusement, tout s’est passé comme si, au rythme lent de nos vélos, nous avions à accomplir, l’une après l’autre, les étapes d’une sorte de parcours initiatique. Il fallut d’abord se laisser envelopper par l’atmosphère blanche des abords de la "Mer du sel" avant d’effectuer la lente remontée jusqu’à l’altitude "zéro" et la conquête des premières hauteurs du Néguev.
De Mitzpe Ramon vint ensuite le premier grand choc, lorsque, dominant de 400 m l’immense cratère géologique du Maktesh Ramon, la ville nous offrit le spectacle de trois couleurs minérales - ocre, noir, rouge - s’éclairant l’une l’autre à perte de vue.
Redescendus au niveau de la mer, nous sommes restés plusieurs jours au pied des murailles massives du Sinaï avant de pénétrer au coeur de la montagne. C’était le 23 décembre, une date que nous n’oublierons pas.
Nous étions au départ de la route conduisant au mont Moïse, quand, au sortir d’un long défilé rocheux, apparut brusquement le champ ouvert et lumineux du Wadi Ghazala. Un paysage d’ocre et de bleu qui nous fit éprouver cette rare et vertigineuse sensation d’un monde où tout ne serait "qu’ordre et beauté". Sensation de plénitude à laquelle le soleil couchant répondit, ce soir-là, par une vibrante invitation... au silence.
 
11 décembre, 9h30 - Mer Morte.
 

Le désert or et bleu du Wadi Ghazala.

 
Deux jeunes bédouins nous ouvrent la route de Wadi Ghazala.
 
Sur le carnet de bord :
 
L'itinéraire : Israël : Jérusalem, Jéricho, Qumran, Ein Gedi, Newe Zohar, Dimona, Mitzpe Ramon, Eilat.
Egypte : Taba, Nuweiba, Dahab, Sharm El Sheikh.
Les étapes : 2880 kms au compteur. Etapes de 50 à 70 kms.
 
La météo : beau temps ensoleillé, avec une très forte luminosité
(lunettes de soleil et crème indispensables). Températures variables au fil de l’altitude (20 à 30°), quelques nuits fraîches dans le sud du Néguev (6°C au petit matin).
 
Le matériel : une crevaison.
Le physique et le moral : retrouvailles délicates avec le camping
(poussière) ...surtout lorsque la nuit est froide...
 
L’hébergement : camping, paillotes (huttes de paille) sur la côte
égyptienne.
Côté finances : monnaie égyptienne (sinaï) : la livre ou guinée.
1LE=1,65F. Prix pour une nuit dans une paillote : 10 à 20 livres
 
L’étape la plus rapide : le 19 décembre, route plate et vent favorable Nord-sud, 44 kms en 2H30 pour arriver à Eilat.
Les bougies d’Hanouka :
 
Du 14 au 21 décembre, les Israëliens ont célébré la fête juive d’Hanouka. Partout dans le pays, dans les maisons comme dans les lieux publics, ils ont allumé chaque soir, pendant huit jours, une bougie sur un chandelier appelé Hanoukia. Pour de nombreux israëliens, cette fête est également l’occasion de prendre une semaine de vacances.
 
Inch’Allah : Aller dormir, au soir du 24 décembre, dans le monastère Sainte Catherine, niché au pied du mont Moïse : l’idée était séduisante, mais la route, en plein désert, très longue. Essayant de ne pas nous bloquer sur un choix prématuré, nous n’avons arrêté notre décision qu’à l’ultime carrefour : la réalité du moment présent nous a alors clairement indiqué que notre route ne passerait pas, cette fois-ci, par Sainte-Catherine.
Inch’Allah... ou les mille et une manières d’apprendre à accepter... ce qui ne se produit pas...
 
Le village-campement de Bassata.
 
24 décembre 98, 7 h du matin.
 
Une rencontre :
 
Responsable du village-campement de Bassata, près de Nuweiba, Shérif a mis en place un fonctionnement respectueux de l’environnement et des règles de vie en collectivité originales (ex : chacun note sur une feuille, jour après jour, ce qu’il a consommé). Très inquiet du développement phénoménal et anarchique des constructions hôtelières en bord de mer Rouge, il a fondé une organisation pour développer le recyclage des déchets sur toute la côte du golfe d’Aquaba.
Mais le diagnostic de Shérif est pessimiste : " si les hôtels sont
vides, ce sera une catastrophe ; s’ils sont pleins aussi. L’année
dernière encore, il n’y avait rien. Et c’était comme ça depuis des
millions d’années... "
Chronique : Danse avec les étoiles
 
Il devait être 18h ; la nuit était tombée depuis une bonne heure déjà. Je regardais le ciel, du fond de cet immense cratère qu’est
le Maktesh Ramon, en plein coeur du Néguev. C’était un ciel d’étoiles, si densément peuplé que tout le désert en était éclairé.
Soudain, dans un long regard immobile, je les ai vues bouger : oui, les étoiles dansaient. Peu importait alors l’explication scientifique du phénomène, car l’instant n’existait qu’à travers son mystère. Tout le ciel vibrait d’une danse dont les pas se comptaient en années-lumière, et redonnaient à l’homme sa juste dimension : nous venons à peine de naître. Je repensai alors à cette humilité première qu’un certain aviateur avait appris d’un Petit Prince égaré sur la Terre. Petit Prince qui, parcourant les astéroïdes, avait été tant surpris d’entendre ce monsieur savant répéter : " Je suis un homme sérieux, je suis un homme sérieux...
- Comment peut-on être sérieux, quand on danse avec les étoiles ?... "
Telle est peut-être la réponse qu’aurait pu donner l’un de ces vieux
bédouins du Néguev que l’on a récemment sédentarisé (c’est plus
sérieux), mais qui, paraît-il, s’obstinent à dormir et à recevoir leurs
hôtes sous leur tente, dressée tout à côté de la maison qui leur a été octroyée. L’échappée belle ! Voilà des hommes qui se jouent de leurs attaches, deviennent voyageurs immobiles et continuent à danser en eux-mêmes avec l’infini de l’espace...
Au jour de notre retour, saurai-je retrouver le chemin de liberté
intérieure qu’ils nous montrent, afin de continuer à regarder, dans la nuit, danser les étoiles ?...
 
Le cratère du Maktesh Ramon :
40 kms de long pour 9 de large.
 
 
L'hospitalité bédouine autour du thé,
avec Salem.
 
 
...Ce vendredi, 23 décembre 1998, un homme nous a ouvert les portes du Sinaï. Il est bédouin, s’appelle Salem, et ne possède aucun bien matériel, hormis une tente, des couvertures, et quelques ustensiles de cuisine. Mais sa richesse est immense, car il vit en réelle harmonie avec le désert ; il est le sable, il est la pierre et le ciel. Ensemble, autour d’un modeste feu, nous avons bu le thé et mangé le pain que sa femme avait cuit pour nous. Dans le regard de Salem se reflète toute la lumière sombre des étoiles.
 
Puisse-t-il avoir le temps de transmettre cette lumière à son bébé de dix mois, avant que la vie ne fasse courir celui-ci au devant des touristes de passage : " Give me money... "

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